D’une enveloppe cotonneuse et chatoyante, protégée d’un environnement hostile et malsain, Bannys Mayorga sentit des secousses répétées de plus en plus forte sur ses épaules endormies.

Un retour à la réalité s’avérait nécessaire et elle prit de plein fouet le son, les odeurs, la vue mais surtout cette sensation affreuse d’être perdue, au beau milieu de ce cloaque sombre et glauque.

Elle sentit tout d’abord contre sa joue le contact rugueux du sol de pierre crasseux, l’endormissement était en soi quelque chose de difficile dans cet endroit mais le réveil n’avait rien de comparable. Lardée de douleurs dorsales de part la position allongée sur ce sol dur et froid, le corps même de la jeune femme semblait férocement remonté contre sa propriétaire. Se révoltant lui aussi de la situation dans laquelle il se trouvait.

Un rictus de douleur apparut donc sur le visage de Bannys, en proie à un réveil brutal dans cette geôle.

Elle ouvrit les paupières pour apercevoir une jeune femme au dessus d’elle, affolée. Sa vision troublée d’un sommeil perturbé laissa place à une réalité bien plus vive et violente.

Bannys Mayorga était l’une des dernières recrues captives de l’entité divine Manaka et pour la plupart d’entre elles, capturées ou avilies, ces dernières devaient obéissance et allégeance en vue de former et d’intégrer la puissante armée des Blacks Widows.

Mais cela passait par un emprisonnement pour déterminer et conditionner celles qui auraient la force et la chance de sortir vivantes de l’antre de Manaka, la cathédrale gothique « The Mind » située à l’endroit même où la guerrière devenue divinité, Dame Manoya Akaye « Manaka », avait brandi la tête du dernier des hommes pourfendeurs de paix en ce royaume.

 Etre au service de la déesse était un honneur même si beaucoup de femmes, jeunes filles avaient perdus leurs proches, et nombres d’entre elles craignaient le pouvoir désormais vertigineux du règne établi au sein de Raven et du royaume de Decay (DK). Rejoindre les rangs signifiaient tirer un trait sur son passé et l’armée de Manaka prit l’initiative de déloger ses recrues, terrées pour la plupart dans l’ombre dans leurs propres trous, à attendre une fin prévisible. Le genre féminin méritait mieux que cela et cette engeance se devait de se tirer de sa torpeur. Si la victoire de Manaka sur les hommes, les seigneurs déchus de ce royaume depuis trop longtemps corrompu et plongé dans le sang, était une litanie à un espoir vertueux pour la gente féminine et guerrière, il n’en était plus rien pour le sexe fort, meurtri au plus profond de lui-même.

Ainsi, les cryptes de la cathédrale regorgeaient de femmes dépouillées de leur passé et leur emprisonnement, sous ce simulacre d’un renouveau devait passer des épreuves nécessaires à l’émergence des plus aguerries d’entre elles.

Bannys Mayorga se releva péniblement dans sa cellule composée de 5 autres femmes. L’espace environnant était emplie d’un bruit sonore et d’odeurs pestilentielles intolérables. S’il s’agissait d’une rédemption pour beaucoup d’entre elles, Bannys avait du mal à croire que l’armée aurait à loisir de toutes les recruter pour en faire une grande et unique unité sous les ordres d’une et même personne.

Non … les Black Widows étaient bien plus vils que cela. Toutes ne sortiraient pas vivantes d’ici, c’était certain.

La jeune fille la secoua de plus belle …

« Bannys … Bannys … réveillez-vous … » fit-elle en l’implorant d’émerger, ce que fit Bannys encore léthargique. Des cris d’affolement survinrent lorsqu’une des portes de la crypte s’ouvrit. Elle laissa passer un halo de lumière émanant de la nef de la cathédrale située juste au dessus, une file de guerrière vêtues de noir, armées de dagues, entra dans la pièce lugubre d’où provenaient maintenant un affolement général des prisonnières toutes recluses au fond de leurs geôles. 

Sur une marche martiale, le charisme des guerrières impressionnaient alors qu’elles longeaient le couloir principal pour faire, semblait-il, un tour d’horizon de la prochaine fournée de recrues.

Deux rangées de Black Widows se formèrent spontanément en parallèle au couloir principal tandis que les matonnes éructaient leurs ordres en calmant et matant les détenues croupissant dans leurs cellules depuis un temps indéterminé.  

Soudain, l’halo de lumière fut coupé par l’avancée d’un autre personnage emblématique, une des bras-droit de Manaka : Faerlys Fendorm.

Une moitié de visage couvert en diagonal par un cache gothique, la guerrière ne manifestait aucune émotion. Un calme se fit naturellement dans la crypte … pour sûr, tout le monde connaissait la réputation de Faerlys et personne ne tenait à titiller l’une des hautes entités du royaume.

Les torches présentes illuminèrent l’endroit glauque et les autorités présentes firent place nette des couloirs jouxtant les cellules. Il était venu le temps de passer aux choses sérieuses.

Sans dire un mot, et sous le contrôle de l’armée, Faerlys Fendorm passa en revue l’état des geôles insalubres ainsi que leurs captives recroquevillées et apeurées. Sur la centaine de femmes emprisonnées, certaines se trouvaient dans un état physique pitoyable. Les pas résonnèrent dans la crypte, Faerlys passa devant la cellule de Bannys Mayorga. Elle dévisagea chacune des femmes présentes puis continua son tour jusqu’à revenir à l’entrée.

Bannys entourait de ses bras sa protégée, bien trop jeune pour vivre une telle expérience. Elle ne connaissait même pas son prénom mais elle vint naturellement à Bannys Mayorga, devenue une forte tête par la force des choses. Son passé l’avait amené à se consolider mentalement et protéger cette jeune fille qu’elle surnommait « Providence » pour bien des raisons …

Néanmoins, elle se redressa sur son séant lorsque Faerlys Fendorm prit la parole d’une voix de stentor dans cet endroit aux 1000 échos.

« Par Manaka, vous êtes que vous le vouliez ou non, la prochaine légion armée Black Widows. Cet honneur et ce privilège reste une épreuve auquel vous devrez vous soumettre pour que vous puissiez honorer comme il se doit votre grade chèrement acquis … »

 Des murmures montèrent dans la crypte, émanant de chaque cellule. Un engouement certain.

 « Silence ! » éructa-t-elle avant de poursuivre. Un rictus malsain s’afficha au coin des lèvres et elle prit son temps avant de lancer :

« Néanmoins, il en va de chacun de vos vies ! Respect et allégeance envers Manaka doivent bien faire l’objet d’un quelconque sacrifice pour arriver à nos fins, même s’il s’agit de nos semblables ! Il en va de l’avenir d’une armée fidèle et efficace au sein du royaume de Decay (DK). Gloire à celles qui mourront pour le bien de leurs consœurs qui serviront notre déesse … »

 L’incompréhension fit maintenant place dans les cellules, la majorité des prisonnières se levèrent et commencèrent à fustiger ses paroles !

 « L’atout principal d’une Black Widows est le meurtre et le don de soi sans commune mesure.

Nous vous laissons en tout et pour tout une nuit, une seule pour qu’il ne reste une seule d’entre vous dans chaque cellule !  Libre à vous de décider de votre restant de vie mais ce sera la mort qui attendra le lendemain si vous ne la provoquait pas vous-même ! Que l’on éteigne les torches immédiatement »

Sur ses paroles sèches, Faerlys Fendorm se retourna et remonta vers la cathédrale alors que des cris de peur panique prirent place dans l’antre plongé dans un noir complet et synonyme de mort.

 Les pensées se bousculèrent dans l’esprit de Bannys : l’incompréhension, la peur mais surtout une envie folle de survivre, elle n’allait pas croupir ici et les paroles vindicatives de Faerlys Fendorm lui avait mit la rage au ventre.

Les cinq femmes eurent juste le temps de se dévisager avant que la crypte ne tombe dans l’obscurité totale. Bannys déglutit nerveusement, le cœur battant à tout rompre sous une puissante montée d’adrénaline.

Il y avait néanmoins un profond problème qui venait à elle … une véritable torture mentale.

 Dans le noir absolu, elle sentit sous son bras protecteur les sanglots de sa « Providence ».